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Le Courant

Automne 2001 | 03

Quelques influences américaines sur l'architecture domestique des Cantons-de-l'Est

Andréanne Beloin

La proximité des États-Unis, l'immigration américaine particulièrement forte dans la première moitié du XIXe siècle ainsi que les relations économiques importantes avec nos voisins du sud ont eu beaucoup d'influence sur différents aspects de la culture des Cantons-de¬-l'Est. L'architecture, notamment, porte les traces de l'influence américaine. Fait normal, puisque de tout temps, l'architecture a reflété les gens qui la font, ce qu'ils pensent, et découle de l'évolution des techniques.

On peut noter cet apport américain à plusieurs niveaux, tant dans les techniques que dans les styles.

Revêtements et charpentes

Au niveau technique, il faut noter les revêtements de bois. On construisait en bois dans divers pays, comme l'Angleterre et la France, mais cet usage devint particulièrement répandu en Nouvelle-Angleterre au XIXe siècle. On peut constater que dans la région de Coaticook, par exemple, de nombreux bâtiments anciens sont recouverts de bois : les maisons, les granges, les églises (surtout celles de confession protestante), etc. Nombre d'entre eux, surtout les maisons, ont malheureusement subi les affres de la substitution du recouvrement ancien par divers plastiques.

Il existe différents types de recouvrements, dont le plus commun est la planche à clin. On lit aussi parfois planche à déclin ou « clapboard ». Il s'agit de planches de bois relativement étroites, disposées à l'horizontale, le bas d'une planche recouvrant le haut de la planche inférieure. Les charpentiers de la Nouvelle-Angleterre utilisèrent très tôt cette technique peut-être inspirée du bardage des navires scandinaves (les drakkars)', car cette méthode rendait le recouvrement plus rigide et mieux adapté au climat rigoureux que d'autres dispositions des planches. Un autre apport technique des États-Unis est l'utilisation des combles dits « à l'anglaise ». Le comble à l'anglaise est un type de charpente de toit caractérisé par l'absence de faîtière et comporte un ou deux entraits'. Comme son nom l'indique, ce type de toit est associé à l'architecture anglaise, mais il est probablement arrivé au Québec par le biais des États-Unis, car on note sa présence d'abord dans les comtés peuplés majoritairement de Loyalistes. Il est difficile de prouver sa présence, sinon en observant directement les charpentes où l'on peut supposer de son existence lorsqu'on voit un toit à deux versants, sans aucune lucarne ou autre ouverture. Ce type de charpente pouvait avantageusement rempla¬cer les charpentes traditionnelles à la française, beaucoup plus lourdes et complexes.

Les procédés américains de construction se reflètent aussi dans les charpentes entières des bâtiments. Durant la première moitié du XIXe siècle, dans la région de Philadelphie, on vit apparaître le « balloon frame », parfois appelé « charpente à claire-voie ». Ce type de charpente s'est imposé par sa simplicité, l'économie de bois qu'il supposait par rapport aux charpentes traditionnelles très complexes et aussi par la possibilité de le produire en série. Tout comme le comble à l'anglaise, il est difficile de prouver sa présence sans l'observer directement. Cependant, on peut être certain de son utilisation dans la région, car ce type de charpente devint le plus commun en Amérique du Nord dès la fin du XIX` siècle. Il ne faut pas négliger son importance dans le paysage architectural, car il s'est imposé par la simplicité de ses formes architecturales et parce que le bois était facile à utiliser comme matériau de construction'.
Problèmes stylistiques


Au-delà de l'influence technique, il faut tenir compte d'influences stylistiques parfois plus ambiguës. En effet, l'architecture américaine du début de la colonie jusqu'au début du XXe siècle n'est le plus souvent qu'une reproduction des tendances européennes. Il devient donc souvent difficile de déterminer si les courants stylistiques nous sont parvenus d'Europe (principalement de l'Angleterre, au XIX` siècle) ou encore des États-Unis. Dans les cas où, par des dates ou des exemples de bâtiments, on peut avancer qu'un style est arrivé par le biais des États--Unis, il faut se rappeler qu'il a probablement une origine européenne. Les architectes et bâtisseurs américains repensaient ces courants en considérant l'environnement, les matériaux disponibles, les habitudes de construction, etc. On retrouvera souvent aux États-Unis des versions en bois de ce qui se construisait avec de la pierre ou de la brique en Europe. Toutefois, il faut garder en mémoire que les conditions étaient semblables dans les Cantons-de-l'Est et en Nouvelle-Angleterre et que ces modifications ont pu apparaître de façon indépendante de chaque côté de la frontière canado-américaine.
Danielle Pigeon, dans son mémoire de maîtrise 4, a montré l'influence des catalogues de plans sur l'architecture des Cantons-de-l’Est. Ces publications proposaient principalement divers plans pour la construction de maisons, d'écoles, d'écuries ou d’autres types architecturaux qui ont sans doute circulé dans les Cantons-de-l’Est.

Certaines étaient d'auteurs anglais, mais un grand nombre fut écrit par des Américains. Considérant la proximité géographique des Cantons-de-l'Est et des Dans un cas comme celui-ci, où le sens original d'un style ou d'un élément le constituant est complètement perdu, on peut difficilement parler d'influence. « Influence » suppose un certain rapport d'autorité de la source sur le résultat; ici, il s'agit plutôt d'une complète dissidence ou d'une réinterprétation.

Styles américains
Malgré toutes les difficultés rencontrées lorsqu'on veut prouver une influence, certains styles sont largement acceptés comme la preuve d'une influence américaine sur notre architecture.

Le néo-grec

Le style sur lequel tous s'entendent pour voir une influence américaine est le néo-grec (Greek Revival). Ce courant existait en Europe, mais il était extrêmement fort aux Etats-Unis. Comme son nom l'indique, le style est marqué par des éléments tirés de l'architecture grecque antique. On appose autour des portes des piliers sculptés rappelant les colonnes des temples grecs, on ajoute des frontons triangulaires au-dessus des fenêtres et de la porte, on esquisse une corniche sous le toit, etc. De nombreuses maisons de la région de Coaticook montrent de ces éléments réalisés avec plus ou moins de finesse. Sur certains bâtiments, ce et la symétrie qui régit la disposition des divers éléments.

Le néo-gothique


On peut voir dans le néogothique, du moins dans certaines de ses présentations, une influence stylistique américaine. Ce style a été très marquant en Angleterre et de nombreux bâtiments publics canadiens sont d'influence anglaise. Toutefois, au Québec, le néo- gothique eut peu d'influence sur l'architecture domestique. Deux raisons expliquent ce fait : d'abord, à la même époque, la maison traditionnelle québécoise d'origine française était en période d'affirmation; ensuite, on associait le style néo-gothique à l'Angleterre, ce qui n'était pas pour attirer les Canadiens français. C'est dans les Cantons-de-l'Est qu'on vit le plus de maisons afficher le style néo-gothique, particulièrement dans sa version de bois. Ces éléments donnent à penser que ce style s'est implanté dans la région après un transit par les États-Unis, du moins en ce qui concerne une grande partie des constructions éléments sont absents, mais on peut y sentir l'influence du style néo-grec par les proportions toutes classiques. La maison Cutting, sur la rue Gérin-Lajoie, en est un superbe exemple. D'autres styles sont apparus dans la région dans leur version américaine. Le Château Norton en témoigne. Construit dans le style néo-Queen-Anne, il en montre les principales caractéristiques : tourelles, asymétrie du plan, projections nombreuses, fenestration importante, toiture imposante, etc. Toutefois, il montre aussi les caractéristiques plus proprement américaines du style : construction étendue en largeur plus qu'en hauteur, vérandas courant sur plusieurs côtés, recouvrement de bardeaux et non pas de brique. On pourrait faire le même exercice pour les divers styles architecturaux victoriens.
Une architecture plus proprement américaine se développa, principalement à partir de la fin du XIXe siècle. On peut penser à l'École de Chicago qui, à la fin du XIXe siècle, développa un type de gratte-ciel qui allait marquer l'ensemble du monde. Évidemment, ce type architectural n'est pas présent dans les petites villes des Cantons-de-l'Est! Le style « Prairie », développé entre autres par Frank Lloyd Wright, a aussi marqué l'architecture domestique. On retrouve plusieurs exemples portant les traces de cette influence à Cookshire et dans ses environs. Des exemples qui n'ont pas été portés à notre connaissance peuvent aussi exister dans la région de Coaticook.
Un autre style qu'on ne peut oublier, c'est le bungalow. Quoi de plus familier dans notre paysage architectural que le bungalow américain!

Ces granges américaines...


Si au niveau proprement domestique, les influences sont parfois difficiles à cerner, certaines sont très claires en ce qui concerne les granges. Les granges rondes, qui disparaissent malheureusement à un rythme effréné, en sont un bel exemple. La première fut construite au Massachusetts, en 1824. Vers la fin du XIXe siècle, on vantait les mérites de ce type de construction dans les périodiques agricoles. On soulignait que la forme circulaire réduisait les opérations pour nourrir les bêtes au minimum, qu'elle permettait une meilleure ventilation, que pour la même superficie au sol, la superficie des murs était moindre et nécessitait donc moins de bois, etc'.

La majorité des granges rondes ont été construites entre 1890 et 1910. On en retrouvait une assez forte densité dans les Cantons-de-l'Est. Coté canadien, on en vit apparaître dans les provinces des Prairies et en Ontario; côté américain, on en vit dans de nombreux états des grandes plaines américaines et en Nouvelle-Angleterre.

Moins de 1 % des granges d'Amérique du Nord furent toutefois construites dans cette forme'. On cessa d'en construire vers 1910. La forme circulaire rendait l'expansion beaucoup plus difficile, les pertes dans les planches qui servaient à monter les murs annulaient l'économie qu'on aurait dû faire pour la surface, etc.

Moins célèbre que les granges rondes, l'arrangement dénommé « Connected Farm », où la maison, la grange et toutes les dépendances sont reliées entre elles, disposées en forme de L, de U ou en ligne droite, est typique de la Nouvelle-Angleterre'. On ne sait pas exactement ce qui fit adopter cette disposition : certains auteurs l'ont expliquée par le climat rigoureux, qui incitait les gens à trouver des façons de sortir le moins possible pendant la dure saison hivernale. Il faudrait alors expliquer pourquoi cette forme n'a pas été adoptée avant la deuxième moitié du XIXe siècle, et pourquoi on construisit les « Connected Farm » dans une région très précise, alors que le climat était tout aussi rigoureux, sinon plus, ailleurs en Amérique du Nord. On les associe directement au nord de la Nouvelle-Angleterre, mais on en trouve pourtant quelques exemples, eux aussi de plus en plus rares, dans les Cantons-de-l'Est.

Les influences de l'architecture américaine sur l'architecture des Cantons-de-l'Est sont nombreuses et parfois très évidentes. Si certaines ne sont pas uniques à la région et qu'elles sont plutôt étendues à l'ensemble du Canada, d'autres sont plus typiquement régionales et sont intimement liées à l'histoire de notre colonisation et notre position géographique. L'architecture n'est jamais détachée de son milieu. Il faudrait parfois s'arrêter et regarder les édifices qui nous entourent et nous voient vivre pour nous demander ce qu'ils peuvent nous apprendre ou nous rappeler qui nous sommes.

Notes

1 - Paul-Louis Martin, À la façon du temps présent : trois siècles d'architecture populaire au
Québec, Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval, 1999, p. 134.
2 - La faîtière, appelée aussi faîtage ou panne faîtière, est la pièce horizontale placée au
sommet de la charpente, au faîte, supportant les chevrons arbalétriers, pièces obliques
traçant la pente du toit. Les entraits sont les pièces horizontales soutenant l'écartement des arbalétriers.
3 - Walker Field, « A Re-examination into the Invention of the Balloon Frame », The
Journal of American Society of Architectural Historians, vol. 2, no. 4 (Oct. 1942), p. 4.
4 - Danielle Pigeon, L'influence des catalogues de plans sur l'architecture des Cantons-de-l'Est, Montréal, Presse de l'Université du Québec à Montréal, 1982.
5 - Andrew Jackson Downing (1815-1852), architecte et paysagiste américain, a produit de nombreux écrits théoriques, mais aussi quelques catalogues de plans très connus dont « Victorian Cottage Residences » et « The Architecture of Country Homes ». Il est un des promoteurs les plus actifs de l'architecture néogothique aux États-Unis. À ce sujet: Schuyler, David. Aposile of Taste: Andrew Jackson Downing. Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1996.
6 - Le Carpenter Gothic est une des facettes américaines de l'architecture néogothique, développée en Nouvelle-Angleterre. Comme son nom le laisse entendre, les bâtiments étaient construits en bois. On y appliquait diverses décorations sculptées dont les formes étaient tirées de l'architecture gothique. À ce sujet: McARDLE, Alma de C. Carpenter Gothic nineteenth-century ornamented houses of New England. New York, Whitney Library of Design, 1978.
7 - Les chemins de la mémoire, Québec, Les publications du Québec, 1990, vol. 2, p. 484-485.
8 - Encyclopedia of the vernacular architecture of the world, New York, Cambridge University Press, 1997, p. 1867.
9 - Thomas C.Hubka, Big ho use, little house, back house, barn the connected farm buildings of New England, Hanover, University Press of New England, 1984.

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